Hommage à Pierre Marion, pour le vingtième anniversaire de sa mort, le 2 décembre 2000
Comment oublier Pierre Marion, chirurgien du cœur à l’égal de Christiaan Barnard? Lui, qui m'appelait pour m'encourager dès qu'il recevait notre revue, où il retrouvait une verdeur qui réanimait en lui cet anticonformisme qui lui avait permis de braver les tabous, et de surmonter les nombreuses embûches qui traversèrent son destin de battant. Pour que batte le cœur ! avait-il écrit un jour. Un cœur qui bat, c'est la vie, présente avec ses obligations, ses choix, cette course aléatoire qui prend parfois des allures trompeuses d'infini. Mais un cœur qui bat, c'est avant tout de l'amour, du sentiment, un intérêt profond pur l'autre et des initiatives, le sens du partage, le goût de l'enseignement et de la transmission. Pierre Marion fut un chirurgien aimé. Ses très nombreux patients conservaient de lui un souvenir émerveillé et chargé d'une profonde reconnaissance. Je me souviens d'une séance de signature de son dernier ouvrage consacré à la vie d'Ampère, à la librairie Decitre, où des hommes, des femmes de toutes les générations tentaient de lui serrer la main, de toutes ses bouches s'écoulaient des flots de remerciements. L'une avait prolongée avec sa mère une belle histoire d'amour, l'autre avait vécu une vie professionnelle parfaite, un autre encore témoignait de sa reconnaissance pour un frère, une sœur, etc. Oui ! Je me souviens de Pierre Marion. Nous étions invités à la Fondation Bullukian. Rarement je n'ai participé à une fête pareille. Napoléon Bullukian venait de mourir. De nombreux lyonnais se retrouvaient autour de son légataire universel, le Pr. Pierre Marion. Le maire, Francisque Collomb, et tout le personnel politique en place, à l'époque, Mais aussi, la diaspora arménienne ressoudée autour de la renaissance de l'activité culturelle dans cette Malmaison, temple exemplaire de l'idée de découverte, et de partage des activités humaines intellectuelles et scientifiques, bruissante de projets. Pierre Marion souriait. Il était heureux. Je le revois encore, quelques temps plus tard,pour la cérémonie très cordiale, où, le préfet, Gilbert Carrère remit à Jean Couty la médaille de Commandeur dans l'Ordre des Arts et Lettres. René Deroudille, le célèbre pharmacien, et critique d'art, prononça un de ses discours triomphaux dont il avait le secret. Le préfet démontra qu'il avait étudié et compris l'oeuvre de notre ami, Jean Couty. Je me souviens d'un jury, où, figurait René Deroudille et Pierre Marion pour remettre un prix et une bourse à un jeune créateur. Admirable initiative. Je me souviens de Pierre Marion organisant une magnifique exposition de René Chancrin. Napoléon Bullukian avait compris les œuvres de Jean Couty et de René Chancrin. Il en avait acheté d'admirables figurant parmi les meilleures réalisées par ces très bon peintres, membres du groupe des Nouveaux avec Pierre Pelloux, Marc Aynard, René Dumas, Jean-Albert Carlotti, etc. Je me souviens de Pierre Marion s'interrogeant sur l'absence régulière des conservateurs du Musée des Beaux-Arts (Philippe Durey et Vincent Pomarède) pendant les réunions de la commission culturelle de la Fondation Bullukian. L'Histoire de l'aventure des arts plastiques n'a jamais passionné ces deux aventuriers qui préfèrèrent jouer la carte de leurs carrières. Oui ! Lyon est une des plus riches de France en matière de peinture. Elle se situe malheureusement en province. Pierre Marion avait horreur de cette rivalité qu'il jugeait absurde. Il en mesurait toutes les conséquences. Elles ne le désespéraient pas. Au contraire, il était prêt à tout entreprendre pour sortir de cette impasse. Ainsi, avions-nous établi des contacts à Paris, pour ouvrir une galerie permanente, et présenter l'école lyonnaise de peinture, mais aussi, la nombreuse production des écrivains et éditeurs lyonnais et rhônalpins. Je me souviens de Pierre Marion m'accueillant, non pas dans son bureau, mais dans cette vaste salle autour d'une large table, où il aimait recevoir. Comme il en a reçu des personnalités diverses et complexes! Hommes politiques de tous les partis, commerçants, industriels, médecins et chirurgiens de renom, artistes de toutes les disciplines et de toutes les générations, éditeurs petits et grands au propre comme au figuré, hommes et femmes d'influences, et de toutes les obédiences, candidats à tous les diplômes, à toutes les élections. Dans la ligne de Napoléon Bullukian, Pierre Marion dans le subconscient lyonnais savait tout et pouvait tout. On attendait. On espérait son avis. S'il vous connaissait, il souriait. S'il s'agissait d'une première rencontre, il était très attentionné, cherchant pendant que vous exprimiez votre requête, comment il pourrait vous être utile, et aussi, de quelle façon votre rencontre pouvait servir les activités de la Fondation. Ayant intégré la commission culturelle, souvent, je passais à sa demande pour examiner des dossiers de prétendants à une exposition sur les cimaises de la Maison des Ecritures, place Bellecour. J'examinais attentivement chaque demande du volumineux ensemble qu'il avait poussé vers moi. Il y en avait toujours beaucoup. Désireux de ne pas exclure, il me représentait plusieurs fois des dossiers que j'avais écartés, en me demandant de les examiner encore. Pierre Marion aimait la bonne chère, mais, avec discernement. Il était aussi gourmet que gourmand, appréciant les dons du chef, hélas disparu, Fernand Duthion. Et l'inoubliable souvenir de ce dîner, à Saint-Germain des Prés, chez Lipp, après la signature de son hommage à André-Marie Ampère, à la librairie Delamain. Propriétaire d'une demeure à Poleymieux, Pierre Marion s'était passionné pour l'histoire de cette cité des monts du lyonnais. Il a su retracer son histoire dans la biographie consacré au découvreur de l'électrodynamique il y a 200 ans, intitulée : " Le génial bonhomme Ampère ». Je pris un vif plaisir à découvrir l'existence tumultueuse du romantique Ampère qui vécut son enfance en disciple de Jean-Jacques Rousseau, son père étant son précepteur. Oui ! la vie d'Ampère fut un roman. Il assista aux derniers jours du maître de Poleymieux, brûlé dans son château. Il vécut l'arrestation, et la montée à la guillotine de son père Jean-Jacques Ampère qui avait choisi le mauvais camp, celui des Girondins, et ordonné comme juge de paix, la condamnation et la mort de Marie Joseph Chalier, révolutionnaire polémique. Pierre Marion avait employé les mots nécessaires, pour faire partager au plus grand nombre le parcours tumultueux d'un immense savant dont le souvenir est préservé dans un musée. Pierre Marion était l'homme de la concertation et de la communication. Avec lui, la Malmaison était devenue ce centre d'études et d'analyses, d'échanges et de partages, de discours et de fêtes, souhaité par Napoléon Bullukian. Il y eut encore cette dernière nuit de fête sous le chapiteau, sur la terrasse de la Malmaison avec la communauté arménienne qui venait de clore une de ces innombrables journées de dialogues. Pierre Marion souriait. Le bonheur des autres suffisait à sa joie. Et puis, vint le moment des adieux. Je ne pensais pas qu'ils étaient définitifs. Je garde à jamais le souvenir de son sourire. Non ! Pierre Marion ne nous a pas quittés. Il a inscrit son empreinte dans l'esprit de tous ceux qui l'approchèrent. Il reste à jamais comme une référence absolue. Nous n'avons pas fini d'évoquer Pierre Marion. Il nous suffira de tourner légèrement la tête en arrière pour mesurer l'étendue de son action, et ensuite, de regarder droit devant nous, pour juger de son influence dans notre avenir commun. Alain Vollerin. Critique et historien de l'art. Membre de l’AICA