Jean Raine Vivre en peinture / Les Cahiers dessinés
Cette splendide édition des Cahiers dessinés dirigés par Frédéric Pajak, avec la collaboration de Julie Bouvard et de Pierre Raine, s'ouvre sur une série de photographies en noir et blanc, en pleine page à bords perdus de Jean Raine (1927-1986), des portraits et le peintre au travail. L’auteur Jean-Noël Orengo écrit que sa "pratique de l'art fut un mode de vie spécifique, en retrait du jeu social, ou en conflit avec lui", défait de toute idée de réussite. Né sous l'identité civile de Jean-Philippe Robert Geenen à Bruxelles, Jean Raine grandit entre passion pour la mère et détestation du père. Sa rencontre en 1942 avec le grand dramaturge, poète et nouvelliste d'expression française et d'origine flamande Michel de Ghelderode, auquel il consacrera un film, est modificatrice, précédée par quelques amitiés capitales, en 1939, qui l'ouvrent au surréalisme. Mais contrairement à Breton, Jean Raine penche plus du côté du subconscient que de celui de l'inconscient. On décèle dans ses premières œuvres graphiques, datées de 1944 et 1946, un trait influencé par celui de Miro ou Klee. Dans cette période les poèmes sont plus nombreux que dessins et peintures. Dans sa quête complexe d'images, et de gestuelle il croise le cinéma à Paris en la personne d'Henri Langlois fondateur de la Cinémathèque française. Le cinéma va compter durablement dans sa vie. Avec les Belges, entre autres, Luc de Heusch, Henri Storck, l'imagerie documentaire domine. Il est en "pleine ébullition cinématographique quand Cobra naît officiellement". Ses liens avec Cobra tiennent d'abord à son amitié « profonde et sans faille mais non linéaire » pour Pierre Alechinsky. Il le présente aux membres du groupe mais n'y figurera jamais. Après Cobra et la poursuite de ses aventures en cinématographie, Jean Raine renoue avec la peinture. Son trait devient tentaculaire, il s'immerge dans ses peintures marche dans ses encres, d’où naissent des graphismes à l'allure de méduses, de poulpes, ou de monstres aux grands yeux écarquillés. Les mélanges se font directement sur le papier au sol avec les lavis, l'encre, l'acrylique, l'eau. Cinq ans après son retour à la peinture en 1962, après avoir "failli mourir d'alcool", et s'être définitivement remarié avec celle qui fut son infirmière, Sankisha ("celle qui apporte la joie" dans une langue du Congo-Kinshasa où son père était en poste), se tient sa première exposition personnelle à Bruxelles. En 1964, il écrit : La manière dont je m'exprime graphiquement est liée à une expérience de l'alcool qui m'a conduit, jusqu'au delirium, à pénétrer le monde de l'hallucination. » Puis c’est la Californie où il expose à sept reprises. Puis, en 1968, a famille quitte les États-Unis et après quelques semaines à Bruxelles, s’installe à Lyon jusqu’à la fin de sa vie, précisément à Rochetaillée-sur-Saône, où la solitude et la monotonie sont aggravées par l'alcool. Lucide, il écrit : "Ma peinture n'a aucune signification. Mes écrits moins encore. Par contre je m'interroge sans trouver de réponse à cet intense, à cet incoercible besoin de faire quelque chose pour n'être rien. Rien. Mon métier est de faire commerce d'illusions." Syntaxe ou figuration automatique en poésie comme en peinture. Le merveilleux texte de l'écrivain Jean-Noël Orengo vous apprendra l'essentiel sur la vie de Jean Raine, sa pensée et sa manière de travailler. Faites l’acquisition de la plus belle monographie parue sur cet artiste inclassable. Broché avec rabats. Format : 22,2 x 28 cm. 224 p. 48€. Paule Martigny