L’association d’amateurs d’art Urb’Art en visite dans l’atelier du sculpteur Paul Marandon
L’idée de cette visite fut initiée par Geneviève Guillaumaud, malheureusement empêchée par un événement impromptu. Michelle Stortz la remplaça au pied levé, pour une présentation documentée impeccable. Le groupe écouta avec une attention soutenue le sculpteur Paul Marandon qui évoqua son parcours, son métier, sa façon de travailler et ses thèmes d’inspiration. Il pratique modelage, terre cuite, résine, marbre, et bronze modérément, pour des raisons qui lui sont propres. De sa haute stature dominée d’une tête de philosophe grec, Paul Marandon avec sa générosité coutumière, parfois facétieux et d'un grand naturel, se livra à cet exercice inhabituel, lui qui règne dans l’heureuse solitude de son atelier.
Sculpteur depuis l’âge de vingt ans. On peut dire que c'est la sculpture qui l'a choisi tant son art remplit sa vie, amis fidèles et agapes fraternelles mis à part. Il s’installa à La Borne, village de potiers du Cher, près de Bourges près de huit ans, et devint sculpteur céramiste. Il partit ensuite en Italie pour apprendre à tailler le marbre, et resta à Pietrasanta, trois années par intermittence. Pour gagner sa vie, li proposait son assistance à d’autres sculpteurs. C’est ainsi que soucieux de son indépendance, il finançait ses propres créations. Mais progressivement ce travail avec ces "pointures" le dégoûta momentanément de la sculpture. C’est pourquoi il choisit Paris pour une autre source de revenus : les décors de théâtre et cinéma aux Studios Éclair. Il opéra alors la navette entre Paris et l’Italie, époque où il rencontra ceux qui devinrent de grands amis, les lyonnais Alain Roche, Christiane Guillaubey et Michel Besson, qui comme lui venaient se fournir en marbre et tailler sur place.
En 1985, Paul Marandon revint à Lyon dont il est natif et occupa un atelier rue Ornano. Il faisait à cette époque des sculptures géométriques à la recherche de la forme parfaite. L’insatisfaction le gagnant, il ressentit un grand vide et décida de tout reprendre depuis le début. Il se tourna résolument vers la sculpture grecque antique et confectionna son Parthénon imaginaire, créant des fragments, d'une manière différente, à l’instar de Lord Elgin pour le British Museum. Il était totalement à contre-courant des préoccupations plastiques de l’époque. La figuration du corps humain en sculpture comme en peinture était mal reçu dans les années 80, mais le sens de sa démarche incompressible l'habitait totalement.
Cette série dura environ dix ans. Il poursuivit, avec toujours des fragments, des drapés, comme représentation du corps, et le déplacement. Puis les êtres emprisonnés apparurent. Paul Marandon nous révéla que l’origine de cette inspiration était autobiographique. "Le poids du monde pèse sur les sensibles" expression chère au groupe Témoignage de Lyon, prend avec lui toute sa vérité.
Du fragment il en vint au corps entier, le drapé se transformant peu à peu en fil de chaîne et en charpie. La série qui suivit en séquences quasi rémanentes aboutit aux Chambres noires. Toujours avec des personnages entravés dans des fils noués, entremêlés, et encagés dans des boîtes. Il nomma la série suivante : Quelques-unes, celles qu’on voit dans les peintures des musées. Une reprise personnelle pour évoquer toutes ces femmes. La série suivante se nomme La mémoire de l’eau. Cette mémoire est celle des barques des migrations, avec une inspiration puisée dans L’île des morts d’Arnold Böcklin. Peinture symbolique du passage des morts par Charon, en écho à celle des migrants de toutes les époques et de tous les pays. A la mort de ses parents il en créa une pour son père et une autre pour sa mère. Devant ces deux petites barques en terre cuite, on ressent une puissante charge émotionnelle. La série des épaves, carcasses squelettiques, et de l’échouement fit suite. L’échouement. L’Echoue mieux, leit-motiv cher à Beckett. Paul Marandon, allie culture scientifique et historique à une réflexion métaphysique qui convie une tout autre partie de notre cerveau. Et puis, apparurent les petits fortins et le fil de trame devint bout de bois…
Le visible et l’invisible. Qu’est-ce que le réel ? C’est ainsi que la création nous place face au grand mystère. Les artistes véritables comme Paul Marandon sont ceux qui "mettent leur peau sur la table", expression que l’on peut juger disgracieuse mais pourtant parfaitement juste.
Paul Marandon qui se livra à ces révélations profondes sur son métier et sur son art précisa que les séries bien que chronologiques s’interfèrent, qu’il y a des aller-retours, des interactions dans sa production. Aujourd’hui il arrive à un moment extrême où il passe de la terre à la boue. Suivons avec intérêt l’évolution de son œuvre jumelle de sa pensée, de ses angoisses et de son rapport à la réalité transformé par l’acte créatif. Ecce Homo. En tous cas chaque personne présente cette matinée-là, a bien compris toutes les exigences du métier de sculpteur. En dépit des servitudes techniques liées à son art Paul Marandon savoure le bonheur de s’abstraire du réel, de perdre toute notion temporelle quand il façonne son sujet. Vous trouverez peut-être cet article trop long, sauf si vous êtes intéressés. Il tente seulement de rendre grâce à la bienveillance de Paul Marandon et d’offrir un aperçu de son intervention à laquelle il manque à ces lignes toute l’émotion ressentie devant ses sculptures chargées de sens et d’une évidente beauté plastique.
Atelier 8 rue de Flesselles. www.paulmarandon.com. 06 70 02 72 52
Paule Martigny / Mémoire des Arts – blog-des-arts.com