Mark Rothko / Fondation Louis Vuitton – Éditions Citadelles & Mazenod

Vendredi, 1 Décembre, 2023 - 10:07

« Je ne m'intéresse qu'à l'expression des émotions humaines fondamentales »

Chronologique, la rétrospective Mark Rothko s'ouvre sur son seul autoportrait, datant de 1936, déjà tout en gravité et se termine avec Cathédrale cernée de sculptures de Giacometti, artiste admiré avec lequel il était en connivence. Un ensemble large et complet de l'œuvre exigeante de Mark Rothko qui s'insère à merveille dans l'architecture de Frank Gehry.

Avant-propos de Bernard Arnault, Président de la Fondation Louis Vuitton. Préface de Suzanne Pagé commissaire de l'exposition avec Christopher Rothko, qui écrit : "Comment introduire par les mots à une œuvre qui a porté à son incandescence la picturalité, langage irréductible à tout autre ?"

"Son vrai génie a été de créer un langage du sentiment » évoquait son ami Robert Motherwell, qui parlait d'« une luminescence qui vient de l'intérieur et non de la lumière du monde".

Comment Rothko est-il arrivé à la quintessence de son art à partir du milieu des années 1940 ? Grâce à cette exposition d'envergure et à ce catalogue monumental on voit s'opérer l'évolution drastique de Rothko vers l'abstraction. L'espace émotionnel et l'intériorité méditative amènent la l'interrogation : qu'est-ce qu'être au monde ? Demeure le silence si bien exprimé avec un choix de formats conséquents qui dépassent la taille humaine.

Le texte "Not Nothing" de Christopher Rothko, fils du peintre, aborde la tabula rasa, effet produit par les abstractions des artistes de l'école de New York. Une nouvelle esthétique qui évacuait la figuration, à la recherche du cœur même de la peinture. Dans les deux premières décennies de son œuvre les personnages de Rothko sont des figures isolées, des peintures néo-surréalistes dans une veine mythologique. Observer la transformation, la métamorphose de sa peinture est passionnant. On suit le processus mental, l'interrogation de l'artiste. Mark Rothko ne cessa de nourrir toute sa vie sa peinture de réflexion sur l'art et la philosophie. Un second texte A fleur de peau. Figurer le drame humain, de Riccardo Venturi précise la nature de sa démarche.

La peinture pourquoi faire ? L'artiste se pose des questions existentielles et dans son cas Mark Rothko renonce à la représentation et crée des espaces qui s'adressent directement à nos sens. Dans son texte Christopher Rothko aborde l'éthéré et le mystique – approcher le vide. Comment regarder une peinture de Rothko ? Simplement en la fixant sans effort particulier, l'espace, la vibration des couleurs, leur association, la taille des aplats opèrent avec la force du Om. La série des Black, quant à elle porte la tragédie de la condition humaine, en relation avec ses lectures de Nietzsche et de Kafka. Le néant et le vide, antinomiques ? Peut-être pas, si on considère qu'ils répondent à une même recherche de sens. Art habité ? Sans aucun doute. Chacun y trouvera ses propres réponses. N'est-ce pas la vertu de l'art de poser des questions ? Une approche socratique qui soulève les paradoxes, crée des ouvertures, sans donner de réponses.

Ce catalogue d'exposition inédit réunit quelque 115 œuvres provenant des plus grandes collections institutionnelles, notamment de la National Gallery of Art de Washington, de la Tate de Londres et de la Phillips Collection de Washington, et de grandes collections privées internationales dont celle de la famille de l'artiste. Une série de textes (Ludovic Delalande, François Michaud, Harry Cooper, Nancy Spector, Jeffrey Weiss, Annie Cohen-Solal, Cordélia de Brosses, Magdalena Gemra) et une chronologie (Claudia Buizza) largement illustrés de documents forment la clôture de cette édition remarquable. Autant de peintures reproduites en grand format. Quelle chance ! Que dire de plus ? Sinon citer Rothko : « Je suis devenu peintre parce que je voulais élever la peinture au même niveau d'intensité que la musique et la poésie. »

Catalogue de l'exposition. Bilingue : français-anglais. Relié avec tranchefile. Couverture cartonnée. Format : 29 x 31 cm. 316 p. 49€. Fondation Louis Vuitton, Paris, jusqu'au 2 avril 2024

Paule Martigny. Mémoire des Arts / blog-des-arts.com