Valentine – Ferdinand Hodler / Les Cahiers Dessinés
Sous la direction de Anne-Sophie Poirot et Nilaus Manuel Güdel. Préface de Pierre Rosenberg de l’Académie française. Cette belle jeune femme qui danse, peinte par Hodler de multiples fois, c’est Valentine. Et c’est bien elle, méconnaissable, décharnée, sur son lit de malade, d’agonie et de mort. Deux volumes sous coffret regroupent les représentations de Valentine, modèle puis maîtresse officielle de Ferdinand Hodler (1853-1918). Sa ligne de corps gracile et ondoyante disparaîtra bientôt remplacée par l’aspect cadavérique. "Est-ce bien toi ?" questionne t’il. Ces ouvrages remarquablement édités regroupent : Vie et mort de Valentine Godé-Darel (morte d’un cancer à quarante ans en 1915), des documents, Ferdinand Hodler : la fleur et la mort, sens et esthétique d’un motif, la quête de l’infini dans la ligne horizontale, au détour des pages : Valentine Godé-Darel dans les carnets de Hodler. Sens et esthétique d’un motif ? On peut se demander si la mort est un motif. Infini dans la ligne horizontale ? On comprendra pourquoi. "Chez Hodler comme chez Poussin, la mort est souvent présente, la mort comme passage. Il faut apprendre à la regarder en face ; Il faut qu’un peintre nous apprenne à la regarder sans sourciller. Chez Hodler, elle est là, décrite sans détour, comme par effraction" écrit Pierre Rosenberg. Hodler vécut très jeune le traumatisme de la perte et chercha par la suite à l’expier par la peinture. A sept ans il vit son père mourir de la tuberculose et à quatorze sa mère décéda. Dans l’intervalle il perdit trois de ses frères. Par la suite un de ses premiers chocs esthétiques fut le sublime "Christ au tombeau" de Hans Holbein, grand format horizontal de faible hauteur. Images insoutenables, indécentes, peut-on penser, avec la représentation de l’agonie ? Non, le modèle reste une inspiration et dans le cas précis de la déliquescence, c'est une mise à distance de l’être aimé en souffrance par l’artiste pour gérer sa propre douleur et une manière d’emporter son image au-delà de sa disparition. L‘amour et la mort sont deux sujets omniprésents dans l’œuvre et la vie de Ferdinand Hodler. Ils se rejoignent dans ce "voir mourir Valentine", dans ces bouleversants et cruellement beaux dessins et peintures. Une précision : au XIXe siècle, on exposait les morts, les pratiques visuelles étaient même spectaculaires, la morgue de Paris disposait en vitrine les cadavres anonymes, parfois en plusieurs morceaux, afin de les identifier. De tous temps les artistes on représenté la mort, plus récemment à l’exemple d’Edward Munch avec "Au lit de mort", ou Claude Monet avec "Camille sur son lit de mort" recouverte de son voile de mariée. Une édition exemplaire. Avec un index nominium. Sous coffret. Deux livres reliés. 250 et 208 p. 60€. Exposition Musée Jenish de Vevey, jusqu’au 21 mai 2023. Paule Martigny