Adieu, cher Paul Bocuse...
Les conséquences de ce départ risquent d'être terribles. Nous ne sommes pas en mesure de les estimer. Nous savions, depuis ces dernières années, que la maladie emportait votre congénitale vitalité. Nous redoutions la dévastatrice nouvelle. Elle nous submerge. Je pense aux douleurs que vous avez traversées, sans vous plaindre, pendant ce temps devenu trop long, parfois insupportable. Nous étions, Paule et moi, chez vous, à l'Auberge de Collonges, le soir, où vous nous avez annoncé votre triple-pontage. Vous étiez encore ce colosse insubmersible, et, cette opération était jugée comme infaillible. Nous étions confiants. Puis, nous avons assisté à l'irruption de cette maladie qui fait trembler les guerriers les plus valeureux. Oui, car, vous étiez le chef de l'armée des guerriers de la gastronomie mondiale. Contre elle, vous avez lutté. Progressivement, elle emporta vos forces, jusqu'à ce 20 janvier 2018, où elle triompha de votre résistance. Nous venions de recevoir votre carte de vœux, pour l'année à venir : La cuisine, c'est le partage... J'avais conquis votre estime en profondeur, lorsqu'Alain Vavro, que je remercie encore, nous présenta, alors, que vous cherchiez quelqu'un, pour écrire un texte à propos de la Brasserie du Nord. Je vous expliquais, avec mon emphase naturelle, le rôle qu'elle joua pour le groupe des Ziniars, peintres et sculpteurs du début du XXe siècle, réunis par une autre personnalité légendaire, le romancier, Henri Béraud. Qu'alliez-vous dire ? J'étais inquiet. Tous trois assis autour d'un élégant guéridon, vous vous êtes tourné vers notre ami, Alain Vavro en lui disant, dans un sourire à la Paul Bocuse : « C'est un client... ». L'affaire était conclue. J'étais désigné pour rédiger le texte dédié à l'histoire de la Brasserie du Nord. Du côté des cuisines, une porte s'ouvrit. Je vis paraître le visage du chef, Roger Jaloux, une coupelle de glace à la vanille à la main, et me disant : « goûtez, c'est la meilleure du monde !... » Quel moment merveilleux ! J'avais obtenu la confiance de Paul Bocuse. Vous me l'avez toujours conservée, et, j'en suis très fier, car Lyon n'est pas une ville de chapelles, où on prie pour son prochain, mais, une cité de clans, où on ne cesse de lutter contre son voisin. A propos des Brasseries, je veux dire le rôle de l'admirable, Jean Fleury, véritable co-fondateur, avec vous, de cette démonstration de professionnalisme, souvent imitée, jamais égalée. Dois-je dire que vous étiez, à Orlando aux Etats-Unis, et au Japon, le plus admiré des ambassadeurs de notre savoir-faire ? Parmi vos convictions, votre intérêt jamais démenti pour le Beaujolais attesté par la présence à votre carte de quelques-uns de ses meilleurs crus, dont le fruit du travail de Jean-Paul Dubost. Vous avez révélé des compétences dans toutes les générations : Alfred Hocdé, François Pipala, Christophe Muller, Marc Chopin, John Euvrard, Mathieu Vial, Thibaut Godin, Alexis Pourcher, Romain Collomb, Gilles Reinhardt, etc. Par expérience, je peux témoigner que vous étiez un très sensible saucier, et, un rôtisseur dans la ligne des origines de la cuisine française. Il faudra encore exprimer la gourmandise de votre escalope de foie gras de canard poêlée, la délicatesse de la sauce de votre lièvre à la royale, le parfum subtil de truffe montant de la Soupe V.G.E conçue pour l'Elysée en 1975, la saveur de la volaille de Bresse en vessie « Mère Fillioux »? Qui dira la subtilité de la Granité des vignerons du Beaujolais ? Quelle générosité ! Votre amour du beurre et de la crème témoignait de votre inscription dans la lignée des chefs illustres, comme Fernand Point, et de tous ceux que défendit avec passion, Curnonsky, prince élu des gastronomes, qui affirmait que depuis Rabelais, dans le noble pays de France, le beurre assurait le goût des plats, héritage du savoir-faire des employées des familles nobles de l'Ancien Régime. Cuisinier, vous étiez aussi, un homme d'humour, capable de toutes les blagues. Vous aimiez lire notre revue, Mémoire des Arts, surtout pour ses éditos, souvent « croustillants » au détriment de certains de nos contemporains aux comportements incongrus. Une certaine causticité savait nourrir votre appétit de curiosités, de constatations inédites. Je suis, encore une fois, très fier d'avoir su vous faire sourire et rire. Pour vous amuser, je vous ai offert chacun de mes soixante livres, et, tous les numéros de notre guide Bien Manger à Lyon. Cher Paul Bocuse, vous aviez raison, j'étais bien un client à votre école du partage, et de la bonne humeur. Le samedi 22 avril 2017, demeurera pour moi une date inoubliable. J'avais rendez-vous à l'Auberge, avec Jérôme Bocuse. J'étais assis dans les cuisines. Paul Bocuse me fit appeler. Autour de lui, il y avait Jérôme Bocuse, le chef Christophe Muller, et, le fidèle Jean-Paul Lacombe. Paul Bocuse n'avait rien perdu de son humour. Quel merveilleux cadeau ! Il vaut toute les médailles ! Vous m'aviez accordé la possibilité d'inviter mes amis les plus proches, au moment de Noël. Je remercie, Martine Bocuse d'avoir facilité ces instants de féeries gastronomiques. Lorsque, vous ne pouviez plus être présent, en salle, où, Raymonde vous accompagnait, toujours douce et prévenante, pour nous accueillir, vous m'appeliez le lendemain, pour prendre des nouvelles de nos agapes bocusiennes. Quel honneur ! Nous venions de vivre un de ces immenses bonheurs, il y a quelques semaines, avec mes fidèles compagnons : Richard Rissoan, Laurent et Hervé Banbanaste, Christian Morel, et, Damien Voutay, sans oublier, Richard Martinez, Fabrice Lenoir et Thierry Raspail qui partagèrent aussi ces moments inoubliables, où, il était permis de tout oublier, à table entre amis, selon votre formule. Tous, à cette heure, sont effondrés par la terrible nouvelle. Elle nous submerge. Parmi ce qui nous reste de meilleur de vous, il y a votre image, les bras ouverts, prêt à accueillir vos admirateurs gourmands, devant la divine auberge, avec autour du cou votre médaille en or de Meilleur Ouvrier de France... Nous présentons à votre épouse Raymonde Bocuse, à votre fille Françoise Bernachon, à son fils, Philippe Bernachon, à votre fils Jérôme Bocuse, à votre nièce dévouée, Martine Bocuse, et, à toute votre famille, nos plus sincères condoléances. Alain Vollerin