Anselm Kiefer / Editions du Regard

Vendredi, 20 Octobre, 2023 - 11:10

Une monographie unique par Daniel Arasse publiée par les éditions du Regard qui suivent l'œuvre d'Anselm Kiefer depuis de nombreuses années

Daniel Arasse a adopté une construction à la fois thématique et chronologique. A travers l'étude des influences, du style et des motifs récurrents, il met en valeur la profonde culture de Kiefer, sa démarche philosophique, artistique et démontre l'unité et la continuité d'une œuvre qui échappe à une conception linéaire du temps. Son analyse est articulée à partir de la Biennale de Venise, en 1980. Une étape décisive dans son parcours qui marque le début de sa renommée internationale et de la controverse sur la " germanité " de ses œuvres. Cinq sous-chapitres : Labyrinthe, Livres I, Palettes, Livres II, Plombs, sont intercalés entre les six parties principales : Venise 1980, Arts de mémoire, Deuils, Déplacements, Trames du temps et " quelque chose de brut".

Dans l'atelier d'Anselm Kiefer on a l'impression qu'il y a eu une explosion. Une sorte d'urgence, de frénésie reste imprimée couche après couche. Daniel Arasse parle de sédimentation, « de configurations qui circulent », d'un labyrinthe. Depuis une trentaine d'années, Anselm Kiefer puise dans l'histoire et la culture allemande, la kabbale juive, l'alchimie, la mythologie mésopotamienne, dans une appétence gloutonne et une énergie rageuse. Ne déclare-til pas « L'Histoire est pour moi un matériau comme le paysage ou la couleur. » ? Chargée de symboles anciens, tournée vers le cosmos, le lien entre la terre et le ciel, le microcosme et le macrocosme et la transmutation, cette œuvre offre une lecture multiple. Explication peut-être aux titres souvent énigmatiques de ses peintures. Les enchevêtrements, l'épaisseur de la matière, les superpositions, la taille démesurée des formats et les perspectives paradoxales aussi dérangeantes que les enfermements forment des évasions impossibles.

Anselm Kiefer raconte une histoire, la sienne, la nôtre, « théâtre de la mémoire individuelle et collective, au lieu d'agir pernicieusement dans le refoulement de leur souvenir ». Ses thèmes récurrents, obsessionnels, sont autant kieferiens que kafkaiens. Nous y lisons une parenté avec l'œuvre de l'austro-hongrois Zoran Mušič (1909-2005), mutilé par la Gestapo, dont l'œuvre fut marquée irrémédiablement par le camp de concentration de Dachau. Ils n'ont pas vécu les mêmes horreurs n'étant pas de la même génération. Kiefer est né en 1945. Mais il exprime la tragédie avec une force goyesque désespérée. Démarche singulière car Kiefer est le fils d'un officier de la Wehrmacht. Acte d'exorcisme, quête de pardon, expression d'une honte lourde des péchés des pères ? A l'inverse de la démarche de son professeur Joseph Beuys.

Ainsi les ruines de cités millénaires peuvent être tout aussi bien comprises comme un relevé topographique d'Auschwitz ou les restes d'une explosion nucléaire. Le temps est illusoire, les traces humaines sont indéfinissables, que ce soient des graffitis hurlants de prisonniers ou des sites abandonnés territoires des urbex. L'histoire humaine tout entière est rassemblée dans ce cri qui n'en finit pas. Celui d'un artiste à fleur de peau, pénétré du destin de l'humanité, lucide à en pleurer de la violence, et de la cruauté, celle infligée aux êtres et à la nature, à notre Terre-Mère. Insoutenable, direz-vous ? A quoi bon peindre un tel chaos ? Non parce que la beauté de l'œuvre est indubitable et pénétrante. Elle répond peut-être à la question : Créer après l'holocauste ?

Daniel Arasse (1944-2003), normalien, ancien membre de l'Ecole française de Rome, historien de l'art, a écrit la seule et unique monographie consacrée à ce jour à Anselm Kiefer. Elle est extraordinaire à plus d'un titre. Il a pénétré l'œuvre en son cœur. Daniel Arasse a publié notamment Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (Paris, 1992) et Léonard de Vinci (Paris, 1997). Son goût l'a porté vers l'art contemporain, il a écrit entre autres sur Rothko et Cindy Sherman. La première édition de la monographie Anselm Kiefer date de 2001, puis rééditée en 2010. C'est un texte essentiel, incontournable.

Broché. Format : 24 x 30 cm. 343 p. 34€

Paule Martigny – Mémoire des Arts / blog-des-arts.com