Bonnard et le Japon / Hôtel de Caumont – In Fine éditions d’art
Le Japon est à l’origine d’innovations fondamentales dans la peinture de la fin du XIXe siècle, sur les Nabis, et particulièrement sur celle de Bonnard, surnommé le Nabi très japonard. Cette exposition à l’Hôtel de Caumont réunit près de cent trente œuvres en lien avec l’influence des estampes japonaises sur Pierre Bonnard (1867-1947). Cet intérêt particulier lui a permis de jouer de la lumière différemment, de traduire formes, éléments floraux et végétaux et mouvement, avec une sinuosité inédite. La vision poétique des estampes de l’ukiyo-e (images du monde flottant), d’Hokusai, d’Utamaro, d’Hiroshige, Kiniyoshi, qu’il acquit très jeune, imprima sa manière marquée par un dessin libre et des couleurs vives.
C’est vraisemblablement, comme d’autres amateurs et artistes de l’époque, chez le marchand d’art japonais Siegfried Bing, qu’il découvrit l’art japonais admiré pour sa fantaisie, son exaltation de la beauté de la nature et sa capacité à simplifier les formes. Dès lors, son style est véritablement empreint de japonisme, terme forgé en 1872 par Philippe Burty pour définir l’impact du Japon sur les arts occidentaux. Comme les artistes japonais, il rythme les figures, use de cadrages qui accentuent l'ondulation, saisit les mouvements dans leur naturel quitte à les décomposer, à les juxtaposer. Le monde flottant, c’est bien de cela dont il s’agit. Le fugace, l’imprévu, les impressions éphémères sont saisis, captés, volés dans la ferveur en croquis rapides qui constitueront le ferment de ses futures peintures foisonnant d'une multitude de taches colorées dans la vibration et l’instantané de l’émotion. Il note : "Dessiner son plaisir – peindre son plaisir – exprimer fortement son plaisir."
Son dernier autoportrait, je me souviens de la forte impression qu’il m’avait faite lorsque je le découvris à la Fondation Bemberg à Toulouse. Il me semblait curieusement y voir un asiatique. Notre ami le peintre Jean-Albert Carlotti qui l’avait rencontré au Salon du Sud-Est à Lyon, répétait souvent, amusé, "je me demandais qui était ce petit chinois". Exécuté en 1945 soit un peu plus d’un an avant sa mort en janvier 1947, cet autoportrait concrétise la voie de la simplicité. Comme le précise Isabelle Cahn, conservatrice générale honoraire du musée d’Orsay et commissaire de l’exposition : "Bonnard se représente comme un bonze japonais vêtu d’un peignoir-kimono, les traits émaciés, les yeux en amande, le teint un peu bistré. Son regard vide, comme passé au-delà de la vie, exprime l’idée de détachement."
À travers cette exposition, adjointes aux œuvres de Bonnard le visiteur découvrira une sélection d’estampes japonaises provenant de la prestigieuse collection Leskowicz. Une présentation scénographique dynamique établit des correspondances, des questionnements esthétiques proches entre deux cultures. Sous la direction d’Isabelle Cahn, le catalogue d’exposition, superbement composé, apporte un complément essentiel à l’exposition grâce à des contributions scientifiques sur le japonisme et les estampes japonaises. Cette exposition bénéficie de prêts exceptionnels de la collection Georges Leskowicz et du Musée Bonnard, Le Cannet.
Soucieux de la bonne conservation de son œuvre Bonnard disait : "J’espère que ma peinture tiendra, sans craquelures= ; Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillon." Subtile formule qui résume à merveille les préoccupations picturales de toute sa vie : les ailes de papillon… Milan Kundera parlait de l’insoutenable légèreté de l’être, avec Bonnard on est bouleversé par sa sublime légèreté.
Relié. Couverture cartonnée. Format : 24 x28 cm. 210 illustrations. 192 p. 32€. Hôtel de Caumont, Centre d’art, Aix-en-Provence, jusqu’au 6 octobre 2024
Paule Martigny / Mémoire des Arts – blog-des-arts.com