Les Deschamps de Raynaud / Éditions du Regard
Pas étonnant que Raynaud qui se réclame plus volontiers du Nouveau réalisme que de l'art conceptuel ait constitué une collection des ouvres de Gérard Deschamps de 1960 à 1999. Pour bien comprendre le sens de sa démarche en tant que collectionneur et artiste, et la portée émotionnelle que l'œuvre de Gérard Deschamps a eu sur lui, il faut lire attentivement son texte, hommage à la lumière fût-elle artificielle. : « J'ai conscience de la particularité de mon témoignage pour ne pas dire l'impudeur face à l'œuvre de Gérard Deschamps. Ce n'est certes pas mon rôle car artiste moi-même, comment aurais-je l'audace d'exprimer des mots qui auront toujours des conséquences tant pour lui que pour moi-même ? Mais en ai-je le choix ! Certainement pas après avoir ressenti cette illumination au début des années 1960. Jeune artiste à cette époque, j'ai eu tout naturellement besoin de clarifier mes engagements et de faire émerger dans ma tête les artistes qui m'apparaissaient déterminants : Gérard Deschamps faisait partie de ceux-là, comme une évidence, comme une raison suffisante créant une fidélité à son oeuvre jamais remise en question pendant 50 ans. De quoi s'agissait-il dans ma tête ? Une justesse liée à cette époque d'après-guerre dont j'étais un témoin, une liberté jamais démentie, mais surtout une fraîcheur transmise dans ses oeuvres, ce qui était pour moi un petit miracle. Je n'oublierais jamais ce jour au début des années 60 où préparant une exposition personnelle à la galerie Apollinaire à Milan, je fus invité pour des raisons techniques à descendre dans la cave de leurs locaux, cela à l'aide d'une bougie. Au milieu de l'obscurité et d'un fatras inextricable j'entraperçus un vague panneau comportant un châssis recouvert d'un tas de chiffons. Est-ce à travers cette lumière digne d'un Vermeer que m'apparût l'évidence de cette oeuvre ? J'étais en face d'un assemblage de tissus éblouissants que je reconnus instantanément comme une oeuvre majeure qui, d'ailleurs, avait représenté Gérard Deschamps à la Biennale de Paris quelques années auparavant. Après cette évocation lumineuse, l'environnement m'apparut d'une propreté plus que douteuse et j'en ressentis une grande détresse. Immédiatement et inconsciemment, je me portai acquéreur de ce chef-d'oeuvre en péril. Ce fut le début d'une démarche fidèle, jamais démentie et souvent résurgente. Que représente aujourd'hui cette oeuvre apparemment légère et libre ? sans aucun doute une authenticité, une résistance face à un monde marchand dominant l'art. Est-elle en danger, va-t-elle disparaître ou demeurera-t-elle à jamais cette émancipation radieuse que nous offre Gérard Deschamps ? » Que voit-on ? Des panoplies de vêtements en un certain ordre assemblés. L’effet est bouleversant. Pourquoi est-on troublé? L’artiste a exprimé le fond de son âme avec une portée plastique aussi puissante qu’il l’aurait fait en peinture comme Joan Mitchell par exemple. Ne disait-il pas : « Je n’ai pas abandonné la peinture. J’ai constaté qu’elle n’était pas seulement dans les tubes. » Né en 1937 à Lyon, Gérard Deschamps est un artiste inscrit dans le mouvement du Nouveau Réalisme. Moins connu qu’Arman, César ou Villeglé, il partage avec eux une expression artistique par des moyens nouveaux qui cassent les codes, agrégeant toute une batterie de pièces de lingerie assemblées d’une manière obsessionnelle. Elles suscitent la comparaison avec les Accumulations d’Arman, qui leur sont contemporaines. Comme Villeglé, Arman ou Spoerri, il collecte les artefacts basiques de la société: sous-vêtements, cordes à sauter, boîtes, balais, ustensiles de cuisine, etc. Bilingue : Français-anglais. Relié, couverture épais cartonnage. Format : 25,3 x 30 cm. 64 p. 30€. Paule Martigny. Mémoire des Arts