Nos richesses / Seuil
Edmond Charlot (1915-2004) avait vingt ans. Il admirait la démarche de la libraire Adrienne Monnier, dans l'esprit de partage et son engagement pour les auteurs. Sans argent Edmond Charlot ouvre en 1935 avec deux amis une minuscule librairie- bibliothèque de prêt, maison d'édition et galerie, à Alger, 2 bis rue Charras (rebaptisée Hamani). Elle s'appellera Les Vraies Richesses mots empruntés à Jean Giono qui, en homme de cœur, donna son accord fraternel. Elle deviendra l'un des principaux lieux de rencontre des intellectuels d'Alger, écrivains, journalistes et peintres. Ce sera une aventure enthousiasmante, éprouvante, mais riche de belles rencontres : Albert Camus, Jean Giono, Emmanuel Roblès, Jules Roy, Max Pol-Fouchet, Vercors, Jean Sénac, André Gide, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Avec émotion, humour et discrétion, Kaouther Adimi évoque Edmond Charlot, courageux éditeur et libraire généreux. Courageux, comme le sont les petits éditeurs engagés dans la défense des écrivains libres de ton. C'est un ardent défenseur de la première heure des textes de Camus, qui, en 1938, vient à la librairie donner des coups de mains, remplir des fiches d'abonnement et corriger des manuscrits. A cette époque, comme trop souvent aujourd'hui, les clients ne sont déjà intéressés que par les derniers prix littéraires. Difficile de faire découvrir de nouveaux auteurs. « Je parle littérature, ils parlent d'auteurs à succès » s'indignait Edmond Charlot. Dans ce roman, Kaouther Adimi a imaginé la fermeture de la librairie. Tout le reste est véridique. Le journal d'Edmond Charlot de 1935 à 1961, est associé au récit des « événements », mot employé à l'époque pour qualifier la guerre d'Algérie. Il est question des massacres de Sétif, et plus tard en France, des terribles ratonnades, la Seine charriant les cadavres comme aux funestes heures de la Saint-Barthélémy. Le 15 septembre 1961, sa libraire est plastiquée par l'OAS. Edmond Charlot perd absolument tout : livres, notes de lecture de Camus, correspondance, photos, manuscrits, etc. Il ne reste rien et il n'a plus un sou. Dans la partie fictive en 2017, Ryad un jeune étudiant de vingt ans a l'âge d'Edmond Charlot quand il a débuté. A la différence que lui, ne lit pas. Il est de passage à Alger., avec la charge en guise de stage, de vider complèrement la librairie et de la repeindre, pour qu'lle soit transformée en boutique à beignets. Une tâche loin d'être simple, sous la surveillance d'un personnage incroyable, le vieil Abdallah, sorte de gardien du temple. Kaouther Adimi a passé un an à écumer les fonds d'archives, à interroger des témoins, à lire de multiples livres et documents, pour rappeler la recette généreuse d'Edmond Charlot, celle qui figure dans la touchante citation de Jules Roy : « Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés (peut-être même Camus), engendrés, façonnés, cajolés, réprimandés parfois, encouragés toujours, complimentés au-delà de ce que nous valions, frottés les uns aux autres, lissés, polis, soutenus, redressés, nourris souvent, élevés, inspirés. (…) « Je ne l'entendis jamais protester contre l'injustice ni maudire l'infortune qui l'accablait. Par moments, il m'arrive de me demander si nous avons été assez dignes de lui. » Lisez ce roman magnifique d'humanité. L'exemple même de la lecture, de l'écriture, du partage des idées et des connaissances qui prolongent ce qu'il y a de meilleur en l'homme. Oui, ce sont bien « Nos richesses ». Broché. Format : 14,2 x 20,6 cm. 224 p. 17€. P.M.