Le Champ des cris / Seuil
Adrien Genoudet est né en 1988. Cinéaste et historien des images, il est l’auteur d’un essai sur Albert Kahn aux Impressions Nouvelles en 2020 : "L’Effervescence des images". Son roman est construit à partir de trois apprentissages croisés. Au bout de l’impasse du Champ-des-Cris se trouve la maison d’Onésime, inhabitée depuis sa mort. Après une déconvenue personnelle, le narrateur, qui a passé là une partie de son enfance, décide de s’y installer. Cette maison est encore empreinte de nombreuses traces du passé, dont la veste de maquisard d’Onésime qui lui avait été offerte par son chef Alias. Il a pour seule compagnie Nicole, une vieille voisine de 90 ans, qui fut jadis le premier amour d’Onésime. Ensemble, ils œuvrent à élucider le passé. Avec elle, il écoute des enregistrements réalisés par un historien local, magnifiquement retranscrits par Adrien Genoudet, qui traduit, avec une ponctuation adaptée, les hésitations et les silences. Une tache au centre de l’Histoire, qu’on a préféré occulter, est mise à jour, émouvante, éprouvante, mais aussi, hideuse et honteuse. Elle raconte, Onésime élevé par ses grands-parents Blanche et Naudet qui perdit une jambe pendant la Grande Guerre, puis le départ brutal d’Onésime pour le maquis, et leurs retrouvailles au sein de la Résistance. Ils avaient à peine 17 ans. Nicole, "elle était la dernière, la seule qui avait vécu toute cette histoire, la seule qui pouvait encore mettre des mots et donner corps, porter et rhabiller les morts, arrêter le givre ; après elle, elle le savait, il ne resterait que les livres et les rumeurs, il n’y avait pas d’alternative". D’où son acharnement à raconter. A tout dire. La vie d’Onésime assiégeait de plus en plus le narrateur en contrepoint de sa solitude dans la maison du mort, la recherche d’un lointain généalogique. Nicole lui révèle des pans insoupçonnés de l’existence d’Onésime, ancien maquisard, personnalité taciturne et énigmatique intimement marquée par les violences de son temps. Avec en point culminant le récit de la Libération de Nevers dont elle fut une des victimes. Pendant la guerre Nicole écoutait les messages radiophoniques, cachée à l’étage, juste au-dessus des Allemands qu’elle entendait ripailler. Elle attendait celui-ci : "la mouche est dans le vinaigre deux fois", qui devait annoncer le largage de deux parachutistes. Onésime lui sabotait avec ses camarades Alias, Matriolet et, Jus de Chique. Ces deux là seront pris et torturés. "Faire chier Hitler ; lui le gosse de ferme, il pouvait réformer l’Histoire ; ils allaient voir tous, ils allaient voir ce dont il était capable…" En 1944, Onésime a vingt ans et commande 50 hommes. Que lui reste-t-il à la Libération ? Le dégoût et la haine. Dans ce roman au style éblouissant, Adrien Genoudet explore la mémoire d’un lieu pour brosser le portrait sans concession d’une période qui, aujourd’hui plus que jamais, continue de trouver écho en nous. Lecture recommandée. Collection Cadre rouge. Format : 20,5 x 14 cm. 400 p. 21€. Paule Martigny